Le 04 Octobre à 4h18 du matin,
le marché noir de Nippori

En cette nuit fraîche et étoilée, le marché de Nippori changeait de visage pour en revêtir un familier à Aiko. D'après ce qu'elle avait entendu, le jour, cette rue était bondée de monde, venu de tous les coins de Tokyo afin de dépenser leur argent dans des éléments de la vie courante des plus banals. Cela n'avait absolument aucun intérêt pour elle. Ce qu'elle recherchait avait une valeur bien plus précieuse à ses yeux et le trouver était la chose la plus sensationnelle, la plus merveilleuse qui existait. Elle aurait peut être l'occasion ce soir, de tomber sur la perle rare si elle avait de la chance. Mais ce qu'elle avait appris avec le temps, c'était que tous les marchés noirs du mardi ne valaient pas forcément le déplacement. Il fallait bien quelques sacrifices si cela permettait d'obtenir le fameux trésor qu'elle souhaitait. Oui, Aiko était passionnée par tous les objets déjà utilisés. Le neuf ne l'intéressait pas car il n'y avait aucune difficulté, aucun challenge à entrer dans une boutique, choisir une décoration plaisante, la payer et repartir avec. Le véritable intérêt était de trouver l'élément qui se démarquait des autres. Mais cela ne suffisait pas non plus. Pour remplir tous les critères de choix de la jeune vampire, il fallait également que cet objet lui évoque une histoire, un passé douloureux par exemple ou une séparation difficile avec son ancien propriétaire. Elle voulait collectionner, oui, mais pas n'importe quoi. Ce qu'elle rapportait chez elle, et il y en avait des choses là bas même si c'était petit, elle le gardait précieusement pour minimiser l'impact des aléas du temps, car eux n'étaient pas éternels.

Aiko ne mit pas longtemps à sortir de chez elle. Comme à son habitude, elle effraya quelques chats qui rôdaient dans les parages à la recherche de nourriture. L'endroit où elle vivait n'était pas recommandé aux humains qui se respectaient. Mais elle n'avait rien à craindre de son côté. Au contraire, elle adorait son quartier car c'était plutôt calme et paisible. Personne ne venait l'ennuyer pour un si ou pour un mi. Et puis pour elle, les chasseurs de vampires ne s'intéresseraient certainement pas à un immeuble en ruine. Elle marchait dans la rue, suivant les lampadaires qui lui faisaient profiter de la lumière, montrant une nouvelle facette de la ville. La population changeait suivant les heures et généralement le soir, il n'y avait pas grand monde dans les rues. Ce calme était serein pour la demoiselle. Elle vagabondait par ci-par là et passait par différents chemins, évitant les grands boulevards, s'intéressant davantage aux petites ruelles non empruntées. Pourquoi ce choix ? Elle ne voulait pas attirer l'attention sur sa présence.De toute manière, elle empruntait toujours le même chemin pour arriver au lieu désiré de la soirée. Elle était sûre de son choix. Et puis, aller dans un marché noir n'était pas une chose que tout le monde faisait. Des objets anciens ayant une histoire pouvaient se trouver dans des endroits bien plus « naturels ». Mais après plusieurs études menaient sur le terrain, elle s'était aperçue que ce genre d'endroit était plus approprié pour trouver ce qu'elle souhaitait. Disons simplement qu'elle avait plus de chance de trouver l'objet convoité.

La demoiselle ne tarda pas à atteindre le lieu de rendez vous car oui, le marché noir n'était pas accessible à tous. Il n'y avait donc aucun stand de visible dans les rues de Nippori comme on pourrait le voir pour un marché normal. Par contre, pour les habitués du système, une petite ruelle menait à un gardien. Il suffisait simplement de se présenter et de donner un mot de passe pour avoir la chance d'accéder à la destination. Celui-ci n'était pas donné à tout le monde. Pour venir dans ce genre d'endroit, il fallait en quelque sorte être parrainé. C'était pourquoi, la population dans ces lieux se connaissaient plus ou moins tous. L'ambiance n'était que plus rassurante. Tout le monde allait là-bas avec une idée derrière la tête ce qui lui donnait une atmosphère assez mystérieuse et intrigante.

Aiko commença à faire son tour, s'arrêtant à quelques stands par ci par là. Apparemment de nouveaux arrivages venaient d'être exposés et ce n'était que bon signe pour elle. Un coupe papier usé à quelques endroits attira son attention. Mais lorsqu'elle le tint dans les mains, elle ne ressentit aucune vie venant de l'objet. Il avait certes était utilisé un bon nombre de fois, cependant c'était de la façon la plus banale possible. Cette révélation fût pour elle aussi triste que décevant. Elle reposa l'objet observé sans plus attendre et partit vers un autre stand. Elle laissa vagabonder ses doigts sur la table qui se présentait devant elle, tournant certains objets. Puis elle arrêta leurs courses au niveau d'un livre à la reliure magnifique. C'était peut être ce qu'elle attendait. Mais alors qu'elle s'apprêtait à le prendre dans ses mains, elle vit une ombre se rapprochait d'elle. Elle n'eut qu'à tourner la tête pour reconnaître qui était l'homme à ses côtés.

« Tient tient tient. Qui voilà en cette belle soirée? »

Oui, elle avait bel et bien reconnu ce visage aux traits fins et harmonieux que possédait Kuromiya Sensui, l'homme qui lui avait mis des bâtons dans les roues dans sa conquête d'objets intéressants. Et le voilà, présent à ses côtés alors qu'elle venait tout juste de trouver un livre pouvant correspondre à ce qu'elle cherchait. Sans plus attendre, elle se plaça sur le chemin entre lui et son trésor à la belle reliure afin de lui cacher la vue et d'attirer l'attention sur elle. C'était un geste pouvant être qualifié de désespéré car ce n'était pas dans son habitude d'attirer le regard des gens. Elle avait simplement était pris de court avec son arrivée et Aiko n'avait pas prévu de plan de secours si elle venait à le croiser durant la soirée. Elle ne souhaitait tout bonnement pas que l'habituelle rengaine se produise de nouveau.

« Je ne m'attendais pas à te voir ici. As tu touvée quelque chose d'intéressant pour le moment? Les stands sont assez variés ce soir, je trouve. Nous arriverons certainement à trouver chaussure à nos pieds. »

Ces mots n'étaient là que pour le distraire car pendant ce début de conversation, la jeune femme cherchait de ses doigts le livre qu'elle souhaitait cacher à l'homme se trouvant devant elle. Elle rencontra quelques obstacles, au passage ce qui lui fit perdre du temps. Puis le trouvant quelques secondes plus tard, elle essaya de le ramener vers le bas de son dos, pour le mettre à l'abri de toute vue d'autrui. Elle essayait de garder un visage aux traits fermés pour ne pas révéler ce qu'elle était en train de faire. C'était tout bonnement son visage naturel.

« J'ai cru voir quelques ouvrages anciens à quelques pas d'ici. Y as tu jeté un coup d'oeil ? »

Le marché de Nippori… Vente de fripes le jour et, pour peu qu’on sache y accéder au milieu de la nuit, potentiel lieu de trouvailles de vieux trésors. Pour autant, Sensui ne faisait pas le déplacement souvent et surtout pas dans ces heures là. Certes, à cette époque de l’année, le soleil avait tendance à se faire paresseux et à se lever tard. La fin de l’automne et l’hiver étaient assurément des saisons vampiriques. Mais Sensui aimait rarement aller dans ces endroits bondé d’être en apparence lambda mais pour le moins louche. Qui sait qui l’on pouvait croiser ?

Cela dit… Il ne pouvait s’en prendre qu’à lui-même s’il était si tard pour qu’il fasse son « marché ». Avec Seijûrô, ils étaient allés chasser ensemble, ce qui leur arrivait trop peu souvent. Et comme d’habitude, Sensui avait joué les fines bouches. Désolé mais il avait « l’estomac fragile » soudainement quand venait l’heure de mordre un humain à l’hygiène imparfaite. Imparfaite de son point de vue il va sans dire et les années n’avaient pas rendu Sensui plus tolérant sur ce genre de truc. En fait, elles l’avaient sans doute même rendu pire. Pas qu’il se fasse « capricieux » à proprement parler mais très exigeant, ça oui. En même temps, c’était comme pour tout… Quand on avait une passion ou une habitude, plus on la pratiquait, plus on devenait exigeant… Et bien voilà. Tout pareil. Huit-cent-vingt années que Sensui se nourrissait exclusivement de sang. Ca vous faisait un palais plus sensible que jamais non ?

Bref… Le marché noir de Nippori donc… Avec ses mots de passe secret, ses revendeurs attentifs et prêt à remballer leur marchandise sitôt qu’un signal d’urgence serait donné. Ils étaient humains pour l’extrême majorité mais on voyait encore passer quelques têtes que Sensui pouvait reconnaître. Vampires. Ces lieux attiraient ceux de sa race qui avait un minimum d’intérêt pour l’histoire. Mais pas que. Le goût de certaines bonnes choses aussi. Fallait reconnaître que dans un marché tel que celui là, les trésors réellement très coûteux étaient choses plutôt rares. Mais ça arrivait… Cependant, Sensui ne recherchait pas la richesse. Du moins, pas celle de son portefeuille. Intellectuel plutôt, lorsqu’il s’agissait d’ouvrages, ce qu’il récupérait le plus souvent. Et sentimental parfois malgré tout, comme présentement alors qu’il donne à un vendeur de quoi lui acheter la broche à cheveux qui avait été emballée avec soin.

C’était une très vieille broche à cheveux d’ailleurs. Longue et marqué d’un grand hibiscus autrefois pourpre mais à la couleur aujourd’hui légèrement écaillée. Et ce bijoux là n’avait pas été sur les établis, non non… Il avait directement « passé commande » auprès de cet homme qu’il connaissait de longue date. Cette broche n’avait pas été « trouvée ». Volée serait un terme plus adéquate. Mais si Sensui n’avait déjà que peu de scrupules en temps normal, c’était cette fois plus vrai encore puisque cette broche lui appartenait, d’une certaine manière. Dérobé au Lotus Blanc, elle avait fait partit d’une collection d’objets très ancien qui avaient appartenu au lieu. Est-ce que cette broche était bien « la sienne » à l’époque où il y avait séjourné ? Difficile à dire… Mais elle le rendait morose lorsqu’il l’avait vu dans le journal, en photographie pour présenter le petit trésor historique du Hanamachi.

Enfin… Il n’avait donc pas trop eu le choix que de passer par ici malgré l’heure tardive puisqu’il voulait donc récupérer son bien et que ce genre de marché n’était pas quotidien, il va sans dire. Et puisqu’il était là, après tout, pourquoi ne pas déambuler un peu dans les allées ? Habituellement, il ne restait pas longtemps et cette nuit ne ferait pas exception, mais il ne comptait pas aller bien loin. C’était ça ou finir par arracher les yeux du prochain ningen qui le bousculait…

Et c’est ainsi, se déplaçant sans réellement chercher, son regard fouillant les établis, qu’il se retrouve à lever les yeux sur un regard sombre qu’il reconnaît pour l’avoir croisé un certain nombre de fois déjà dans le secteur ou dans un qui lui ressemblait.

Se tenait devant lui une vampire qu’il savait jeune, sans trop. Chevelure plutôt longue et flamboyante, regard à l’amande comme deux fentes alors qu’elle l’étudie un instant, nez légèrement retroussé dans une mimique probablement inconsciente… Aiko. Il connaissait son prénom oui, vu le nombre de fois où il avait raflé la mise sur un objet que la « demoiselle » convoitait. Il fallait reconnaître qu’elle avait du nez pour reconnaître les objets qui avaient un certain historique. Habituellement, Sensui n’éprouvait pas la moindre culpabilité à enchérir sur un item que la belle désirait. Mais ce soir, c’était légèrement différent. Il avait fait une acquisition qui ne serait sûrement pas dépassée –de son point de vue toujours- cette nuit.

Et justement, bien qu’il n’y ait pour l’heure aucun objet à convoiter entre Aiko et lui, la vampire défend son territoire, se posant pile entre un tréteau et lui. Sensui cesse donc de marcher une fois placé judicieusement en face d’elle…

◈ Tient tient tient. Qui voilà en cette belle soirée?

Sensui à un bref signe de tête pour la saluer avant de porter sa montre à son regard, signalant sans s’émouvoir outre mesure :

◈ 4h20. Il me semble qu’on a dépassé le stade de la soirée non ?

Mais Aiko semble lancée et décidée à lui faire tourner les talons rapidement ce soir…

◈ Je ne m'attendais pas à te voir ici. As tu touvée quelque chose d'intéressant pour le moment? Les stands sont assez variés ce soir, je trouve. Nous arriverons certainement à trouver chaussure à nos pieds.

Sensui contemple ce petit bout de femme mort fort jeune sans nul doute, réfléchissant à cette attitude impromptue. Il se penche légèrement sur le côté pour tenter de voir le stand derrière elle tandis qu’Aiko reprend à nouveau la parole, lui parlant d’ouvrages anciens un peu plus loin. Sans doute pas quelque chose d’exceptionnel pour qu’elle les lui mettent sous le nez cependant… Entre fouineurs dans leur genre –surtout de celui d’Aiko, lui étant un fouineur occasionnel- on ne se refilait jamais des « bons tuyaux » de cette manière, pour le plaisir de renseigner.

Néanmoins, Sensui ne dit rien un moment, se contentant d’acquiescer à la première question. Oui, il avait « trouvé » même si en l’occurrence, il n’avait pas réellement eu à chercher. Et comme il ne craint pas qu’Aiko joue les voleuses –elle savait que ce n’était pas dans ses intérêts de toute façon n’est ce pas ?- et qu’il était plutôt satisfait de son achat, Sensui vient chercher dans sa poche le petit coffret contenant la broche, l’ouvrant pour la lui présenter, affirmant finalement :

◈ Tu peux te détendre. C’est tout ce que j’étais venu chercher cette nuit.

Mais parce qu’il ne perd pas entièrement le nord non plus, il ajoute :

◈ Néanmoins si tu as trouvé quelque chose d’intéressant, je suis évidemment curieux d’y jeter un œil.

Parce qu’Aiko avait du flair, parfois peut être même sans savoir ce qu’elle déterrait et que donc, ça valait toujours le coup de jeter un œil (ou les deux) sur ce qu’elle avait déniché. Bon joueur, il promet :

◈ Si ce n’est pas un ouvrage, je ferais comme si je n’avais rien vu. Si s’en est un, je te demanderais simplement de me laisser le compulser à l’occasion.

Le marché était honnête non ? Surtout qu’ils savaient tous les deux que Sensui pouvait tout aussi bien se contenter de rester planter près d’Aiko à attendre qu’elle soit obligée de payer son achat… Ha oui, parce que Sensui est convaincu qu’elle a quelque chose en main. Pas parce qu’il l’a vu faire ou qu’il perçoit son angoisse à l’idée qu’elle s’en rende compte non… Mais parce que :

◈ Le vendeur commence à te regarder comme une voleuse Aiko. Je pense que tu devrais reposer ce que tu lui as prit ou le payer…

Aiko pouvait parfois avoir la tête ailleurs et ce fût le cas pour cette nuit là. Elle n'avait pas vu le temps passer sur ce marché. D'ailleurs, cela faisait pas mal de temps qu'elle fouinait sur tous les stands et elle n'avait pas réalisé qu'il était déjà cette heure là. 4H20. Il était peut être un peu tard. Néanmoins, elle n'avait pas envie de partir de ce lieu, n'ayant pas encore regardé le bel ouvrage qu'elle avait derrière elle. Elle ne chercha pas à cacher sa surprise.

« Il est vrai qu'il se fait tard. Et le jour se lèvera d'ici quelques heures. Mais nous avons encore un peu de temps devant nous avant que les premières lueurs du jour n'apparaissent. »

Oui cela faisait un moment, plusieurs années en faite, qu'elle n'avait pas vu le soleil. Cela lui manquait parfois comme aujourd'hui. Elle aimait se perdre dans cette sensation de nostalgie. C'était la raison principale de son intérêt pour collectionner les objets. Cela lui rappelait sa vie d'humaine. Mais soit. Elle fixait du regard cet homme qui se trouvait juste en face d'elle et qui semblait être intéressé par sa trouvaille. Peut être était-ce simplement de la curiosité ? En tous les cas, elle était loin d'être rassurée. Et lorsque le regard de Sensui se mit à vagabonder au niveau du stand, Aiko ne prit pas le temps de réfléchir et se déplaça de quelques centimètres pour garder le livre hors de portée. C'était une réaction vraiment stupide de un parce que cela confirmait qu'elle cachait quelque chose derrière elle, si tentait qu'il eut encore des doutes et de deux, cela ne ferait que décupler l'intérêt de l'homme à ses côtés. En tous les cas, c'était comme ça que réagirait Aiko si les rôles étaient inversés et elle avait peur qu'il soit comme elle. Néanmoins, elle passa rapidement à autre chose lorsqu'elle vit le vampire chercher dans ses poches et en sortir un joli coffret.

« Wow mais où as tu trouver ça? »

Ses yeux sombres se focalisèrent sur la broche aux jolies couleurs. C'était un objet de facture exceptionnelle et cela éveilla la curiosité de la demoiselle. Pourquoi lui montrait il cet objet? Il avait l'air d'avoir beaucoup de valeurs et elle ne parlait pas d'argent, mais bien de sentiments. S'il avait prit le soin de le ranger dans une de ses poches, à l'abri des regards des autres c'était bien pour une raison précise. Aiko savait repérer les bijoux qui pouvaient l'intéresser et indubitablement cette broche en faisait partie. Essayait-il de la tester? Cela marchait. Elle était comme hypnotisée par ce bijou qui était à portée de bras. Inconsciemment, elle fit un pas vers Sensui et s'arrêta aussitôt. Non pas qu'elle n'avait pas envie de toucher cet objet. Disons plutôt qu'elle ne souhaitait pas que l'on interprète mal sa réaction. Sa main droite s'était tout de même tendue, mais repartie à sa place dès qu'elle s'aperçut de son geste. Elle préférait la jouer plus finement. Sans plus attendre, elle reporta son attention sur le vampire comme si de rien n'était. Aiko était tout de même mal à l'aise, intérieurement, au vu de ce qui s'était passée, parce qu'elle s'était en quelque sorte trahie et elle n'était pas plus rassurée qu'auparavant au sujet de son livre. Elle aurait souhaité garder son calme avec les paroles rassurantes qu'avaient émises Sensui. Cependant, elle ne pouvait se résoudre à lui faire confiance. « Tu peux te détendre. C’est tout ce que j’étais venu chercher cette nuit. » C'était ce qu'il disait maintenant. Aiko prit un air dubitatif et forma avec sa bouche, une sorte de mimique étrange qui pouvait s'apparenter à une grimace. En effet, elle ne savait pas s'il fallait se réjouir d'avoir un adversaire KO pour la soirée ou s'il se jouait d'elle en lui faisant avaler des paroles qu'il venait de prononcer quelques secondes plus tôt. Bon, en même temps, elle n'allait pas dire non à une trêve, même si cela ne durait pas longtemps. Pour le coup, elle décida d'acquiescer à ce que venait de lui dire le vampire, en hochant la tête à deux reprises. Elle desserra alors sa prise, libérant quelques millimètres du livre de son emprise. Le gérant du stand semblait s'être apaisé, sans toutefois être convaincu des attentions d'Aiko. « Néanmoins si tu as trouvé quelque chose d’intéressant, je suis évidemment curieux d’y jeter un œil. » Cela ne fit que confirmer ce qu'elle pensait. Elle ne fût donc pas surprise par ce que venait de lui dire cet homme.

« Je pense que nous avons un intérêt commun pour les choses intéressantes. »

Elle faisait bien sûr référence à la broche qu'elle venait de voir. Elle n'était pas prête d'oublier un objet aussi magnifique. « Si ce n’est pas un ouvrage, je ferais comme si je n’avais rien vu. Si s’en est un, je te demanderais simplement de me laisser le compulser à l’occasion.  Elle avait beaucoup mieux à proposer, en tous les cas un nouvel intérêt avait surgi dans la soirée. Seulement, le plus gros de ses problèmes étaient de convaincre Sensui de la suite des évènements et cela n'allait pas être chose aisée.

« Parle moi de cet objet et je te ferais profiter, à mon tour, de ma trouvaille. »

Elle ne perdait pas le nord et tant qu'elle ne s'approchait ni ne touchait la broche, elle ne pensait pas avoir d'ennuie. La jeune vampire ne cherchait pas vraiment le conflit. Elle essayait simplement de satisfaire sa curiosité, qui pouvait être qualifiée d'osée. Mais elle était comme ça. C'était ancrée au plus profond d'elle et elle en était fière. Aiko aimait connaître l'historique de l'objet trouvé et si Sensui avait ne serait ce qu'une once d'information sur ce bijou, alors elle serait tout à fait satisfaite. Son intérêt n'était en aucun cas de voler même si cette pensée lui était passée par la tête lorsqu'elle perdait une bonne affaire contre cet homme. Mais ce n'était resté qu'à l'état de pensée et non d'actes. « Le vendeur commence à te regarder comme une voleuse Aiko. Je pense que tu devrais reposer ce que tu lui as prit ou le payer… » Voilà encore une personne qui se mettait en travers de son chemin. Elle n'allait pourtant pas se laisser faire. Aussi, elle décida de détourner son regard et se focalisa sur le vendeur. Son visage avait perdu tout son éclat dû au fait qu'elle était de mauvaise humeur. On ne pouvait pas se sortir comme ça d'une intrusion dans sa négociation, même s'il n'avait pas dit un mot. Ses yeux devinrent perçants et sans compter sur un grincement de dents, elle essaya d'avoir une voix fluette.

« Ne vous inquiétez pas pour votre livre, Monsieur. Je n'ai aucunement l'intention de vous le dérober. Si cela avait été le cas, vous ne vous seriez rendu compte de rien. »

Aiko n'aimait pas attirer l'attention des gens. Rien que par le simple fait qu'elle était épiée par ce vendeur, les regards et les a priori qui allaient avec, s'étaient focalisés sur elle. C'était une des choses qui la dérangeaient le plus. Non pas, qu'en des circonstances « normales » cela change grand chose à sa vie. Seulement en tant que vampires, mieux valait faire profil bas. Ce qui n'était pas le cas ici. D'autant plus qu'elle n'était pas accompagné de n'importe qui. Plus les personnes aux alentours la regardaient et plus d'informations ils récoltaient sur elle. Avec ces quelques mots, elle espérait de nouveau passer inaperçu. Après quelques minutes de silence, elle tourna la tête du côté de Sensui et d'un air dépité, elle ajouta :

« Oui c'est bien un livre qui se trouve auprès de moi.  Mais a priori, son vendeur n'est pas près à me faire confiance.»

La jeune vampire prit l'ouvrage dans ses mains et du bout de ses doigts le caressa, légèrement, parcourant ainsi la couverture de droite à gauche. Il avait quelques marques, sans doute des coups obtenus lors de ses nombreux déplacements, mais rien de bien dramatique. L'étape suivante était son ouverture et ce fût ce qu'elle fit. Sur la première page, elle eut la grande surprise d'y apercevoir un sigle rouge. Elle ne savait absolument pas à quoi il pouvait correspondre. Cela ne ressemblait en rien à un hiéroglyphe, mais c'était tout aussi flou pour elle. Un peu plus bas, un texte très petit y figurait. Elle était tout aussi incapable de le lire mais tout aussi fascinée.

« Hummm, sais tu à quoi ça correspond? »

Elle hésita un instant à lui tendre le livre. Mais un simple moment de réflexion lui affirma que c'était la bonne décision. Lui-même avait décrèté ne pas avoir l'intention de lui mettre des bâtons dans les roues ce soir.

◈ Il est vrai qu'il se fait tard. Et le jour se lèvera d'ici quelques heures. Mais nous avons encore un peu de temps devant nous avant que les premières lueurs du jour n'apparaissent.

Ce n’était pas faux… Mais l’affirmation avait quelque chose de téméraire non ? On commençait à se dire qu’on avait encore 2 ou 3 heures et puis ensuite, n’en restait plus qu’une… Puis les soixante minutes qui la composaient n’en devenaient plus que trente jusqu’à ce que finalement, on arrive au point de non retour. Au moins Sensui pouvait il imaginer sans mal que la jeune –tout était relatif bien sûr- vampire logeait dans le secteur. Du moins, compte tenu de son instinct de conservation, ce devait être le cas… Détail insignifiant de premier abord mais qui pouvait valoir son pesant d’or en cas de besoin.

Pour sa part, l’emplacement de son appartement n’était un secret pour personne… Surtout pas chez les vampires pour qui le Bloody Sunday était tout un point de repère. Mais en même temps, du fait de sa notoriété justement, y avait peut être pas plus imprenable que son chez lui. Et de toute façon, si effectivement, il y possédait beaucoup d’objets de valeur, ses biens les plus précieux étaient entreposés ailleurs. La broche ferait néanmoins exception. Sensui avait envie de la garder… Souvenir en quelque sorte.

Et lorsqu’il ouvre son coffret, Sensui ne lâche pas la belle jeune femme des yeux. Le regard sombre de la vampire s’allume presque instantanément, prouvant à Sensui que cette créature là possédait une sorte de don pour déceler ce qui avait de la valeur « pour quelqu’un d’autre ». Oui ok, c’était un peu complexe comme une image, mais cette broche ne valait probablement pas un clou pour quelqu’un d’autre que pour lui. Ou alors juste la valeur de l’histoire et des années qui étaient passées dessus. Mais pour lui, c’était tout un trésor et voir Aiko y réagir de manière aussi forte était à la fois une satisfaction et une admiration.

Néanmoins, jamais la main de la belle n’aurait pu finir son mouvement jusqu’à la broche. Sensui savait instinctivement qu’elle ne comptait fort probablement pas la voler mais cette broche à cheveux, c’était un morceau de son intimité et s’aurait été le violer que d’y toucher sans sa permission. Permission qu’il n’avait justement pas donnée… Mais Aiko était une femme intelligente et dont l’instinct de survie et de préservation faisait le travail pour elle quand les réflexes presque humains voulaient reprendre le dessus.

◈ Wow mais où as tu trouver ça?

Le regard de Sen pétille un bref instant et finalement, il a un mouvement de la main évasif en arrière de lui, répondant sobrement :

◈ Par là…

Il n’allait pas réellement admettre devant elle qu’il l’avait fait voler n’est ce pas ? Pas que Sensui ait honte de ses méthode pour acquérir quelque chose qu’il voulait VRAIMENT mais… Il voulait éviter qu’Aiko ne vienne éventuellement utiliser ses propres ficelles pour rafler des objets avant lui. Ho, elle devait en ravir beaucoup plus que lui vu le temps conséquent qu’elle semblait passer dans ce genre d’endroit. Mais aucun des objets sur lesquels ils avaient été en concurrence n’était resté entre les longs doigts fins d’Aiko. En même temps, elle n’avait pas le passif ni les comptes prospères grâce à de très nombreuses années de vie de Sensui…

La boîte est ensuite soigneusement refermée et remit avec tout autant de soin dans sa poche. Aucun pickpocket, aussi habile soit-il, n’aurait pu voler Sensui ce soir tant toute sa concentration était tournée vers le petit objet. Petit objet auquel Aiko fait d’ailleurs allusion, laissant passer un sourire sur le visage toujours juvénile malgré les siècles de Sen :

◈ Je pense que nous avons un intérêt commun pour les choses intéressantes.

Oui, on pouvait dire les choses comme ça. Ils n’acquéraient pas forcément les objets pour les mêmes raisons… Et tout ce qui intéressait Aiko n’intéressait probablement pas Sensui… Mais l’inverse par contre était vrai. C’était d’ailleurs plutôt horripilant sur le principe mais bon…

◈ Parle-moi de cet objet et je te ferais profiter, à mon tour, de ma trouvaille.

Le sourire de Sensui frise un peu devant ce deal. Sensui était fort peu bavard au sujet de son passif et parler de cette broche l’obligerait à admettre certaine choses du passé. Néanmoins… Au fond, il n’était pas obligé d’être précis. Il pouvait ne pas mentir sans en dire toute fois trop, les joies de la richesse des mots et des langues vivantes.

Pendant que Sen réfléchit à cette proposition, Aiko se frustre contre l’antiquaire –ou le pseudo antiquaire- qui était à deux doigts de crier au vol devant toute l’assistance. Sensui comprenait le point de vue de l’un comme de l’autre et comme lui-même n’aurait pas été aussi impressionnable que l’homme derrière son étal, il aurait en revanche probablement envoyé mourir Aiko de manière cinglante. Mais ce n’était probablement pas l’heure de se mettre à mal avec la vampire… Elle avait piqué sa curiosité et aussi longtemps que cette dernière ne serait pas assouvie, il garderait un silence respectueux.

Aiko découvre le livre qu’elle cachait dans son dos et Yui ne bouge pas d’un centimètre, gardant le dos droit mais les yeux posé sur l’ouvrage avec une certaine curiosité. S’il avait le goût pour les vieux manuscrits et les œuvres originales, il n’avait pas le don d’Aiko pour leur découverte au premier coup d’œil. Lui, il lui fallait toucher, voir, parfois même sentir l’odeur de vieux papier. Il avait même déjà goûté l’encre une fois ou deux pour attester qu’on ne lui refilait pas une contrefaçon. C’était le problème de traiter avec des humains. Rares étaient ceux qui savaient pour les vampires et leur instinct de survie était enfouit sous des mètres cubes de mauvaises habitudes liés au confort qui les empêchait de prendre la mesure de la bêtise qu’ils étaient en train de commettre. Bref…

La page de garde est donc levée et se penchant légèrement pour mieux voir, Sensui observe le dessin qui se trouve là. Il lui était… Familier. Vraiment très. Assez pour qu’il soit convaincu de savoir à quoi ça corresponde… Mais pas assez pour déterminer où il l’avait déjà vu exactement.

◈ Hummm, sais tu à quoi ça correspond?

Aiko était donc aussi perplexe que lui, sinon plus. Néanmoins, beau joueur, Sensui acquiesce tout en admettant :

◈ Je l’ai déjà vu. Mais je ne sais plus où. Il m’est familier et je suis certain de l’avoir déjà croisé mais pas ainsi exposé en page de garde sinon je m’en souviendrais mieux.

En même temps, avec 820 ans derrière lui, on pouvait sans doute lui pardonner de ne plus se remémorer tout à fait toutes les lectures qu’il avait pu faire. Et encore, c’était sans compter les lectures que son fils lui faisait plutôt…

◈ Je ferais une recherche dans ma bibliothèque si cela t’intéresse et que tu me laisse donc le compulser à l’occasion.

Et parce qu’il n’avait pas oublié pour la broche et qu’il n’était pas le genre à revenir sur une parole, même lorsque cette dernière avait été tacite, il pose une main sur sa poche pour signaler de quoi il allait parler avant de commencer :

◈ C’est une broche qui a appartenu à un résident de l’Hanamachi du Lotus à l’époque où on l’appelait encore l’Okiya du Lotus Blanc. J’ai connu la personne, je crois, qu’il avait porté cette épingle dans ses cheveux. En tout cas, l’ibiscus pourpre était sa fleur alors je suppose.

Il était surprenant qu’elle ai survécu tout ce temps alors il n’était pas improbable qu’elle date depuis « après » son passage à lui. Mais le doute subsistait sans que Sensui ne soit certain de vouloir connaître la vérité sur l’âge de l’objet.

Sensui en revient donc au livre, le désignant d’un petit mouvement de tête avant de demander :

◈ J’en conclu que tu ne l’as jamais vu avant ? Peut être que le contenu, s’il est lisible, nous en apprendra un peu plus. Ca pourrait même me rappeler où j’ai déjà vu ce symbole.

Puis avec amusement :

◈ En tout cas bravo, tu as encore réussi à piquer ma curiosité et mon intérêt. Tu devrais vendre tes services, Aiko.

Et c’était sincère…

Spoiler:

Attentive, impatiente, curieuse pouvaient être les termes qui qualifiaient le mieux l'état d'esprit dans lequel se trouvait Aiko. D'un naturel froid et distant, elle ne laissait pas beaucoup d'ouverture pour les discussions avec autrui, préférant ainsi éviter des paroles inutiles qui ne la mèneraient nulle part. Cependant, avec Sensui, c'était toute autre chose, enfin, en ce moment même, car il avait su attirer son attention. Elle avait cet air que les enfants ont avant d'ouvrir un cadeau. Celui qui est emplie de curiosité et d'envie. Celui qui n'attend qu'une chose : que le secret de la boite lui soit révélé. Les yeux grands ouverts, elle regardait avec avidité le livre et sa première page. Elle ne connaissait pas du tout le symbole qui y était représenté, mais lui le connaissait, son voisin d'en face qui était toujours aussi mystérieux de son point de vue, mais qui pouvait lui apporter son aide, peut etre. Car il avait avoué avoir déjà croisé du regard ce genre de dessin. Certes, sa mémoire lui faisait défaut. Mais le plus important c'était qu'Aiko tenait sa première piste. Et ça, ce n'était pas un détail négligeable.

◈ Je ferais une recherche dans ma bibliothèque si cela t’intéresse et que tu me laisse donc le compulser à l’occasion.

C'était une information plus qu'intéressante. Il était prêt à l'aider en ayant comme unique requête de le feuilleter quelque fois. Cela lui convenait parfaitement. Disons, que c'était un bon compromis pour connaître le mystère qui entourait cet ouvrage. Néanmoins, elle ne pouvait s'empêcher d'avoir une certaine appréhension à son égard car faire un marché avec un vampire n'avait pas les mêmes conséquences qu'avec d'autres personnes. Elle resterait donc sur ces gardes jusqu'à ce que les deux partis y trouvent leur compte. Après cette pensée, s'en suivit un hochement de tête, venant de sa part, pour acquiescer à la proposition. Elle aurait était idiote de refuser son offre des plus corrects. Elle se retourna alors du côté du vendeur et jeta sur la table une petite sacoche en velour noire dans lequel se trouvait des pièces, une somme tout à fait raisonnable pour acquérir ce nouveau bien. Chacun en ressortait gagnant, il n'avait aucune raison de refuser.

« Considère que ce livre est en ma possession .»

C'était ce qu'elle venait de dire à l'homme près d'elle. Le vendeur, lui, était bien trop occupé à ranger les pièces de monnaies dans un lieu sur, pour faire attention aux deux personnes devant son étale. Cela permettrait aux deux vampires de discuter tranquillement sans être dérangé d'une quelconque façon. Elle était à la fois soulagée d'avoir obtenu ce qu'elle voulait, en présence de son concurrent direct et à la fois heureuse d'avoir un nouvel objet à placer dans sa collection.
Un sujet en amenant un autre, Aiko se focalisa sur le mystère du bijou pourpre. La jeune vampire avait très bien compris que Sensui ne souhaitait pas partager ses secrets avec elle. Elle était loin d'être nait de la dernière pluie, pourtant elle aurait bien aimé avoir des détails sur l'origine de la broche que lui avait montré cet homme quelques minutes plus tôt. Et un « par là » n'aurait pas aidé plus que ça, bien trop vague pour le considérer comme une information valable. Au moins, il avait eu la bonté de ne pas éviter sa question ou la tourner en dérision. Pour cela, elle le respectait. D'ailleurs, elle avait réussi à le convaincre de lui parler de l'historique de l'objet. Elle ne savait pas par quel miracle cela avait pu être possible, mais elle était satisfaite du résultat.

◈ C’est une broche qui a appartenu à un résident de l’Hanamachi du Lotus à l’époque où on l’appelait encore l’Okiya du Lotus Blanc. J’ai connu la personne, je crois, qu’il avait porté cette épingle dans ses cheveux. En tout cas, l’ibiscus pourpre était sa fleur alors je suppose.

Oh très intéressant. A première vu, cet objet ne lui appartenait pas à l'origine. Elle pouvait d'ores et déjà enlever une de ses suppositions. En même temps, ce morceau d'informations sollicitait davantage sa curiosité, car oui, elle savait qu'une certaine personne du Lotus Blanc avait ce bien en premier lieu, mais elle ne savait toujours pas en quoi cet objet pouvait avoir une quelconque valeur aux yeux de Sensui. Des pièces du puzzle manquaient à l'appel et cela embrouillait l'esprit d'Aiko.

«  Si cette broche ne t'appartenait pas, alors je me demande comment elle a pu attirer ton attention à ce point. Peux tu m'en dire plus sur ce résident ?»

Elle profitait de l'occasion pour obtenir des renseignements. Bien sûr elle avait fait une croix sur l'acquisition de cet objet. Elle ne souhaitait aucunement réveiller la colère de Sensui. Toutefois, pour compenser cette perte – si tentait qu'on pouvait le considérer comme telle – elle avait besoin de comprendre son vécu. Ainsi elle assouvirait sa soif de connaissance et cela suffirait amplement à la satisfaire pour la soirée.

Pour ne pas l'étouffer avec ses questions, Aiko décida de rebondir sur ce qu'il venait de lui dire au sujet du livre.

◈ J’en conclu que tu ne l’as jamais vu avant ? Peut être que le contenu, s’il est lisible, nous en apprendra un peu plus. Ca pourrait même me rappeler où j’ai déjà vu ce symbole.

Il n'avait pas tort. S'ils voulaient découvrir ce qu'il en était, ils se devaient de commencer à lire les premières pages de l'ouvrage. Sans quoi, ils resteraient béat devant le livre sans aller plus loin. Et ce n'était pas vraiment ce qu'elle souhaitait. Alors elle décida de tourner la page suivante, et arriva à ce qui semblait être un message de remerciement ? Un soupir de soulagement s'échappa de ses lèvres. C'était écrit en japonais. Au moins, la langue utilisée n'était pas un barrage à la compréhension du texte. Cependant le dialecte était ancien, voilà un autre point d'attention qu'il fallait porter à ce mystère. Ce livre n'était pas tout jeune et elle avait du mal à repérer l'époque à laquelle il appartenait. Elle commença à susurrer les quelques premiers mots :

« Cette nuit fraîche de printemps, aussi glaciale qu'un hiver dans cette contrée, parée d'une lune couleur rubis, m'effraie.»

Quelques lettres manquaient dans la suite. Aiko s'arrêta donc de lire et releva son visage pour regarder Sensui d'un air dubitatif. Etait-ce un journal personnel qui avait été retrouvé dans un grenier, perdu sous une tonne de poussière? Si tel était le cas, elle serait heureuse d'entendre ce que l'écrivain avait à lui dire ou plutôt à lui raconter. Surprise par quelques mots, elle referma le livre abruptement et se déplaça de quelques mètres d'un air pensif, s'éloignant ainsi de l'autre vampire. Elle était certes curieuse de connaître la signification du sigle de la première page. Cependant, cet ouvrage pouvait peut etre renfermé plus de secrets qu'il n'en paraissait au premier abord. Et si tel était le cas, elle voulait s'en assurer avant d'aller plus loin. Pour ne pas paraître déplacée envers celui qui lui avait fait profiter de son trésor, elle se retourna et rangea le livre dans un sac en cuir marron foncé qu'elle portait en bandoulière.

« Je pense le lire dans un premier temps. Nous aurons certainement l'occasion de nous revoir pour reparler de ce livre. »

Et comme elle ne voulait pas s'en tenir là avec Sensui, elle ajouta tout en se rapprochant de lui :

« Et si on en revenait à ta broche ? »

◈ Considère que ce livre est en ma possession.

Sensui observa la jeune femme en face de lui… Puis le vendeur qui venait de récupérer une petite bourse de velours noir pas bien volumineuse. Mais assez bruyante, en revanche, pour que Sensui imagine bien son contenu : pièces. Quel genre de pièce dès lors ? Pas des yens… Il aurait fallu tellement de yen pour payer cet ouvrage, même s’il avait été sous évalué, que cette bourse n’aurait jamais pu tout contenir. Un échange de bon procédé alors ? Des pièces de valeurs ? En tout cas, il était permis de le penser puisque le vendeur semblait en accord avec l’affirmation d’Aiko : le livre était à elle. Affaire rondement et rapidement menée donc. Ce n’était pas toujours aussi simple.

Disons que parfois, il fallait composer avec les vendeurs qui savaient quelle valeur pouvait avoir un objet ou qui simplement, savait déterminer à quel point un acheteur était déterminé à en avoir un. Et si Aiko restait calme et distante, son petit manège face à lui aurait éveillé les soupçons de n’importe quel autre vendeur avec un peu plus d’envergure et de jugeote et il aurait essayé de négocier plus d’argent de cette vente. De fait, Aiko pouvait sans doute se considérer comme chanceuse que les choses aient si bien été.

Ensuite, quittant leur contemplation du livre, Aiko s’était intéressé à nouveau à sa broche après qu’il l’ai présenté. Et décidément, les yeux de la vampire n’en finissait plus de briller pour elle, ce qui quelque part, gonflait Sen d’une fierté idiote. Cette broche n’avait pas d’autre valeur que celle qu’Aiko et lui lui donnait présentement. Elle était fort jolie certes, surtout pour quiconque savait son âge, mais sa valeur s’arrêtait justement à celle de l’histoire. Sensui était heureux de l’avoir récupéré et en même temps, il n’était pas nostalgique de cette époque où elle avait épinglé de longues mèches de ses propres cheveux.

◈ Si cette broche ne t'appartenait pas, alors je me demande comment elle a pu attirer ton attention à ce point. Peux-tu m'en dire plus sur ce résident ?

Sensui ne répond pas au départ. Décidément, c’était un moineau bien curieux qu’il avait en face de lui. Malheureusement pour la vampire, Sensui pouvait se montrer plus silencieux qu’une tombe sur certain sujet et celui-ci en était assurément un. Déjà secret sur lui-même avec Seijûrô, ce n’était pas pour aller tout déballer à la première personne venue, peu importe le goût des belles choses qu’elle puisse avoir.

◈ Comme je te l’ai dit, je crois l’avoir connu. J’étais attaché, d’une certaine façon, à cette personne. L’objet à donc une valeur qui s’apparente à celle du souvenir.

Ni faux… Ni vrai. Mais Sensui n’était pas décidé à en dire plus à ce sujet. Le terrain devenait glissant et d’un petit mouvement entendu de la tête, il encourage Aiko à ne pas s’aventurer beaucoup plus loin, sans quoi il allait quitter la politesse d’usage pour se faire un peu plus brusque dans son verbe.

De toute façon, la jeune vampire à déjà récupéré son livre à nouveau, s’y concentrant, se penchant sur ses premières pages. Sen observe de là où il est, faisant confiance à sa vue plus aiguisée par son état vampirique pour ne pas le trahir et il note, probablement tout comme Aiko, le vieux japonais dans lequel il est rédigé. Quelques kanas étaient différent, les kanji et leur calligraphie étaient plus complexes ou élaborée… Pour quelqu’un qui comme lui avait huit cent ans passés, ce n’était pas du domaine de l’insurmontable. Certes, il ne le lisait plus à tous les jours mais… C’est comme le vélo d’une certaine manière : ça ne s’oubli pas.

◈ Cette nuit fraîche de printemps, aussi glaciale qu'un hiver dans cette contrée, parée d'une lune couleur rubis, m'effraie.

Les premiers mots de l’ouvrage donc. Rien qui permette de déterminer son genre. Un journal ? Un roman ? Peut être les deux au fond. A l’époque où ce livre avait dût être écrit, les journaux intimes étaient plus des romances inspirées de la réalité qu’autre chose. A moins, bien sûr, qu’il ne s’agisse de quelque chose de beaucoup plus pointu… L’Ordre de Tenkyû, pour ce que Sen en savait, possédaient de nombreux ouvrages autobiographique qu’il aurait adoré lire. Peut être qu’il devrait faire un arrangement avec le chef de l’Ordre, la prochaine fois que ce dernier viendra le visiter…

Mais pour en revenir au livre, il fallait replacer les choses dans le contexte. Le Japon avait longtemps manqué d’histoire et lors d’une des restaurations, on avait commandé des récits « historiques » de ce temps à présent révolu qui avait filé sans qu’on en conserve la moindre trace. Et plus que la vérité, on y trouvait des passages relativement abracadabrant. Mais bon, ce n’était pas comme si dans les premiers livres historiques nippons, les pierres, les arbres et bien d’autres choses ne s’étaient pas misent à parler…

Sensui penche légèrement la tête pour essayer de suivre un peu mieux bien qu’il lise à l’envers mais sans crier gare, Aiko referme d’un petit mouvement sec l’objet. Et bien… Elle n’avait pas peur de l’abîmer à le traiter ainsi. Sensui la regarde un moment sans comprendre ce qui avait motivé son geste. Hé bien quoi ? Ils ne le lisaient plus ? La vampire avait promit qu’il pourrait le compulser non ? Elle avait semblé d’accord avec ce deal, quelques minutes plus tôt. Que se passait-il donc à présent ?

◈ Je pense le lire dans un premier temps. Nous aurons certainement l'occasion de nous revoir pour reparler de ce livre.

Un sourire un rien moqueur se dessine sur les lèvres de Sensui à cette explication. Et du bout des lèvres, poli mais sans trop y croire, il répond donc :

◈ Certainement oui.

Cette « occasion » sonnait comme un « jamais ». Il pouvait bien sûr se tromper… Mais les rares fois où Aiko et lui s’étaient croisés, c’était toujours complètement par hasard. Bien sûr, il aurait pu faire rechercher la vampire maintenant qu’il avait une idée de sa zone de confort. Mais à quoi bon ? Aller chez elle quémander l’accès à ce livre ne l’intéressait pas. Il n’avait pas envie de se battre pour une raison aussi futile et si l’objet avait certes éveillé sa curiosité, il ne l’avait pas non plus transcendé.

◈ Et si on en revenait à ta broche ?

C’était donc ça ? Elle pensait qu’ils allaient en reparler, faute d’un autre sujet à aborder ? D’abord un petit peu revanchard, Sensui constate sobrement :

◈ Nous aurons certainement l’occasion de nous revoir pour en parler, là aussi.

C’était un donné… Pour un rendu. Aiko avait souhaité garder l’exclusivité de ce livre et lui-même se rétractait, ne désirant plus parler de son bien. Certes, le terrain sur lequel ils jouaient à présent était fermé et ne resterait bientôt plus qu’à se quitter sans être parvenu à trouver à un accord qui satisfasse finalement réellement les deux parties. Mais disons que c’était un premier pas vers de peut être futurs nouvelles « collaborations ». Hum… Disons plutôt qu’ils ne se sauteraient pas à la gorge lors d’un prochain affrontement pour un item… Mais Sensui ne comptait pas lui faire la fleur qu’il lui avait faite ce soir souvent. En fait, il n’envisageait pas spécialement de reproduire l’expérience, tout simplement.

◈ Je pense que nos chemins vont se séparer pour ce soir. Tu ne souhaites plus me laisser me pencher sur l’ouvrage et je ne souhaite plus te laisser te pencher sur l’épingle.

Nouveau sourire un brin moqueur tout autant que moralisateur plus tard, Sensui vient ajuster le col de son manteau avant de tirer de ses poches une paire de gants en cuir qu’il vient passer sur ses mains menues.

◈ Je te conseil de ne pas trop t’attarder. Le temps que tu réalises que tu as laissé filé plus de temps que tu ne le voulais et il fera déjà jour.

Sensui vient ensuite rajuster son écharpe et finalement :

◈ S’il te plaît de passer par le Bloody Sunday à l’occasion…

De sa poche intérieure, le vieux vampire vient tirer une carte à l’enseigne de son bar à alcool, la remettant à Aiko même si elle devait déjà tout à fait savoir où le trouver. Là ce n’était pas du tout pareil, il s’agissait, en quelque sorte, d’une invitation et malgré tout, Sensui n’en faisait pas à tout va.

◈ Nous aurions peut être le goût d’en reparler. Et de reparler également de la proposition à peine voilée que je t'ai faite et que tu as ignoré au sujet de la vente de tes service. En attendant, je m’en vais te souhaiter bonne chance pour ce qu’il te reste de nuit, Aiko. Nous nous reverrons sûrement…