La musique classique… Ses envolées à vous en donner des frissons pour peu que votre épiderme puisse désirer se protéger du froid. Sa communication brutale de sentiments que l’état de vampire pouvait vous avoir fait oublier. Cette communion avec le reste du monde sans jamais bouger de son fauteuil… Il faudrait qu’il y amène Ryu à l’occasion. Qu’il lui impose le silence le temps de quelques heures pour qu’il reste muet devant cette beauté typiquement humaine, même si Katsuo avait encore un peu de mal à l’admettre. Il ne doutait pas le moins du monde que son fils vampirique puisse y être réceptif pour être honnête. Ryu lui tapait peut être parfois sur les nerfs mais il ne l’avait pas fait immortel par caprice du moment. C’était un jeune homme sensible au monde de son vivant, qui essayait de le comprendre et de l’apprivoiser. Heureusement, son nouvel état n’avait pas brisé cette soif de découverte. Alors c’était décidé… Il reviendrait assister à cet opéra presque plus musical que chanté et il viendrait avec Ryu.
Les places étaient fort coûteuses, comme toutes les activités du genre. Mais sans être riche à million, Katsuo pouvait se vanter d’avoir fait fructifier un peu d’argent à la bourse. Et d’avoir cumuler, en quelques siècles, un petit pécule pour vivre confortablement. Assez pour rendre son emploi à la faculté obsolète… Mais il avait le goût de ce travail. Et puis parfois, en de très rares occasions, on y rencontrait des perles. Lui l’avait fait. Un petit bijou façonné on ne sait comment au milieu de ses semblables, qui brillait un peu plus fort que les autres jusqu’à devenir éblouissante. Généralement, ces beautés sont éphémères. Trop. Et Ryu avait effectivement faillit faire partit de celles là. Mais Katsuo avait donné à ce diamant brute de quoi perdurer éternellement, pour peu qu’il soit assez sage pour ça.
Les violons cessent, les basses, les flûtes, les harpes… Tous, les uns après les autres se meurent, laissant un silence presque assourdissant que Katsuo, depuis un petit balcon privatif, écoute avec presque douleur tant il était parfait après ces heures de virtuosité. C’était son petit moment à lui, passer en solitaire pour apprécier une des joies du monde humain. Un moment qu’il n’était pas forcé de partager avec qui que ce soit même s’il y ramènerait Ryu plus tard. Par la suite, il lui faudrait retrouver son fils et s’assurer qu’en chasse, il resterait dans les rangs. Non, il ne le suivait plus « chaque soir ». Mais parfois encore, juste pour s’assurer que tout allait bien. Et en ce moment, il y avait dans leur ville deux problèmes…
Le premier problème, c’était la Bête du Xiang. Un vampire d’une sauvagerie rare. Katsuo n’avait pas vraiment envie que Ryu lui tombe dessus. Même si on ne relatait pas réellement d’altercation entre la Bête et les autres vampires, si une bataille venait à avoir lieu, Katsy n’était pas assez fou pour imaginer que Ryu ait les armes naturelles de se défendre et de vaincre. Le second problème, c’était la disparition de quelques vampires sans signe avant coureur dernièrement. Les chasseurs étaient vraisemblablement plus féroce dernièrement… Et si Katsuo jouait souvent la carte de l’indifférence plate avec Ryu, il n’en était pas moins vrai que toucher à un seul de ses cheveux c’était s’en permettre trop pour garder la tête sur ses deux épaules… Un peu pour ça aussi que Katsuo n’avait jamais caché l’affiliation entre Ryu et lui. Ca lui offrait une légère sécurité avec les vampires et/ou les chasseurs les moins ambitieux. Pour les autres… Soit, disons que c’était un problème.
En tout cas ce soir, il s’était vidé la tête avec un opéra et lorsqu’il s’était finalement lever pour quitter les lieux, décidé à se nourrir un peu pour parfaire cette soirée voluptueuse, l’extrême majorité des gens étaient déjà partit. Ce soir, il avait, comme tous les autres, enfilé une tenue un peu plus digne. Un smoking fait sur mesure. Pas un faux pli, pas une peluche… Une petite écharpe était posée sur ses épaules et des gants blancs dans sa poche, pour le dehors. Non, il ne ressentait pas le froid mais ça sauvait un peu les apparences. Une bande de tissu noir était passée en travers de son visage. Sans doute que ça, ce n’était pas très traditionnel… Mais il préférait encore être remarqué pour cette étrange excentricité que pour la cicatrice qui était en dessous. Et tant pis si elle ne sautait pas forcément aux yeux elle, contrairement au bandeau. Bref… En passant dans un couloir, redescendant pour arriver dans le hall principal, Katsuo s’était arrêté devant un miroir, s’y mirant quelques instants en silence, non pas par narcissisme mais avec cette attention du détail qu’à celui de voir tout être parfait ce soir. Ou si pas parfait, du moins le plus possible.
Il songeait à la perspective, à présent, de se rendre dans l’un de ces quartiers chics où la population qui avait envahit la salle un peu plus tôt se retirerait. Peut être que la magnificence du moment qu’ils avaient passé donnait à leur sang un goût particulier ? C’était une théorie absolument douteuse mais qui lui permettrait ce soir de se nourrir à des veines riches, dans le strass et les paillettes de quelques gorges offertes.
Néanmoins, tandis qu’il quittait le bâtiment sans se presser, récupérant son lourd et long manteau sombre pour le remettre sur ses épaules, les claquements réguliers d’une paire de talons hauts se font entendre derrière lui. Katsuo se retourne donc, ignorant le responsable du vestiaire qui s’éloigne à nouveau, pensant sûrement que plus personne ne viendrait chercher de vêtement. Cette femme qu’on entendait arriver n’en avait-elle pas malgré le froid mordant de ce mois d’octobre ? En tout cas, lui était plutôt tiède. Il commençait à être en appétit et si une femme esseulée passait par là…
Mais non. On est loin, très loin de la simple petite humaine esseulée qui risque gros à arpenter la ville seul. Pas qu’elle porte sur son visage sa condition, mais alors qu’elle avait soudainement chuté, Katsuo avait été un minimum gentleman. Il s’était rapidement dirigé vers elle, se penchant pour récupérer l’une de ses mains délicates dans les siennes. L’épiderme était chaud, presque fiévreux un peu… Mais il ne sentait pas, dans cette main qu’il retenait dans la sienne, le pouls régulier d’un cœur qui bat. Alors ils étaient restés là un instant à se regarder dans le blanc des yeux. Le joli visage était correctement fardé, sans trop… La tenue sophistiquée mais sobre… Quoi que la position ne soit pas vraiment à son honneur évidemment.
Katsuo vient néanmoins l’aider à se relever, s’inquiétant :
◈ Vous ne vous êtes pas fait mal ?
Au pire serait-elle sans doute capable de faire taire ce mal rapidement non ? Tout au plus une cheville foulée… A moins qu’elle soit trop jeune pour ça ? Difficile à déterminer. Mais généralement, les jeunes générations avaient peu le goût de ce genre d’endroit. Avec tact, Katsuo vient remettre une mèche de cheveux de la jeune femme derrière une de ses oreilles avant d’en revenir à une distance respectueuse de deux ou trois pas. Pas qu’il craigne une attaque… Mais il ne voulait pas paraître agressif lui non plus et de façon générale, on ne se tenait pas beaucoup plus près des inconnus…
Son regard passe rapidement sur le reste de l’endroit puis avisant un petit canapé dans le hall toujours aussi vide, Katsuo le désigne.
◈ Il y a un canapé si vous voulez. Je peux vous y conduire si c’était nécessaire.
Et sur ce, il lui présente son bras pour elle venir s’y accrocher si le besoin s’en faisait ressentir.
◈ Peut être devriez vous essayer les talons plats, la prochaine fois.
Il a un petit sourire, peut être un rien moqueur mais pas méchant.
◈ Heureusement, vous vous êtes épargné l’humiliation de le faire au milieu de toute une foule. D’ailleurs, il est bien tard pour quitter sa place non ? J’ai peu l’habitude de croiser encore du monde lorsque moi-même je sors, après avoir profité un long moment du silence.
Et de fait, malgré tout, il souligne :
◈ Et encore moins celle d’y rencontrer quelqu’un comme vous…
C’était arrivé… Mais généralement, Katsuo les connaissait un peu. Là… Inconnue au bataillon…