« Désolé mon cher monsieur mais je ferme !! Venez demain il y a une dégustation gratuite ! »

C'était bien dommage tout de même car il avait l'air très intéressé. Mais en même temps quelle idée de venir à une heure aussi tardive ? Sa cave fermait déjà bien tard. Bref, en lui ayant proposé la soirée dégustation, le caviste était sur de l'intéresser doublement. Et ceci fait le client s'était déjà promis de revenir le lendemain avec un grand sourire sur le coin des lèvres. Quant à Sasori il avait à présent la nuit devant lui pour vivre; Il ne pouvait rentrer chez lui sagement et se poser devant une émission de télé. Il avait besoin de remplir sa jauge sociale avant de rentrer pour éviter de péter les plombs ou faire une crise de nerfs à cause de la solitude. Après une longue journée replié dans sa cave, il n’y avait que ça de remotivant pour lui. Un peu comme les sims, sauf que là nous sommes dans la réalité.

Mais il n'était pas sorti sans se préparer un minimum; un peu de parfum, une remise en place de sa veste de costard et après avoir repassé un coup de cirage sur ses chaussures, il était fin prêt à passer une bonne soirée et penser à lui. Qu’allait-il bien pouvoir faire ce soir là? Rejoindre des potes en boite de nuit? Se trouver quelqu'un pour aller au cinéma? Sasori n'a jamais été du genre à planifier quoi que ce soit en avance bien qu'il soit quelqu'un de sérieux dans la vie quotidienne. Car à partir du moment où il sort, il n'est plus vraiment le même; il se laisse aller, il fait tout par envie, pulsions et ne pense pas se donner de limites tant qu'il ne fait rien de mal. C'est ce qu'on appelle profiter comme on peut de ce que la vie nous offre et lorsqu'il se réveillera tout rentrera dans l'ordre. C’est comme cela que ça doit se passer. Ce comportement lui a souvent donné l'occasion de se retrouver dans des situations peu communes mais il fini toujours par en rire et ne regrette jamais. Quel sentiment agréable de se dire un matin "jamais j'aurais pensé pouvoir faire ça". On parle d'expériences, il aura des tas de trucs à raconter.

D'ailleurs pour se mettre en situation, un petit verre s'imposait d'abord. Et c'est dans le premier bar qui se présenta sur son chemin où il entra d'un pas assuré, imposant sa personne. Il salua d’un geste vif de la main son confrère de boisson posté derrière le bar, le jeune homme lui demanda qu'on lui serve de l'alcool alors qu'il prit place au comptoir. L’endroit se remplissait petit à petit entre les salary men en after work et les étudiants qui allaient finir en boite de nuit. La moitié déjà torchés et prêts à tous les vices, une nuit n’est jamais unique il n’existe pas de routine.

La fatigue qu'il avait souvent en fin de journée disparaissait à mesure que l'alcool coulait en lui et réchauffait sa gorge. Parler avec le barman le réveillait également et là il se sentait mieux. Moins mou, moins pris dans cette spirale de tous les jours et surtout prêt à se montrer tel qu'il est réellement. IL leva les yeux vers la pendule, la soirée déjà bien entamée, il était impatient de connaître la suite.

Derrière lui un groupe d’étudiantes étaient en train de discuter de l’endroit où elles allaient aller ce soir là. D'une assurance qu’il ne connaît que trop bien, il se leva de son tabouret pour aller les voir. S’en suivit une conversation très courtoise, parfois bien trop à son goût mais il avait récupéré leurs numéros pour envisager de passer une autre soirée avec elles. Qui sait ce qu’il se passerait, elles avaient l’air d’être comme ces collégiennes qui se disent Escort girl et qui ne savent pas comment marche un homme. Ennuyeuses malgré qu’elles soient de jolies roses, et une fois la conversation terminé, il laissa de l’argent sur le comptoir et s’en alla.

Tokyo était belle de nuit, même si ça ne valait pas les quais du Rhône de la ville des lumières en France. Sasori marchait d’un pas lent, le nez en l’air sur les panneaux publicitaires et les néons multicolores qui décoraient la tour 109 de Shibuya. Mais cette vision n’était que banale à côté de la rencontre qu’il allait faire. Elle croisa son chemin sans même s’apercevoir de sa présence.

« Lena, quelle surprise ! »

Le jeune homme avait attrapé doucement son poignet afin d’attirer son attention car dans cette foule, il n’était même pas sûr qu’elle l’ait entendu.

Il était évident qu’elle allait sursauter au contact de sa main, aussi il lui avait fait un agréable sourire le temps qu’elle le reconnaisse pour ne pas être effrayée d’avantage. Lena avait vraiment l’air d’avoir eu un début de soirée mouvementé pour qu’elle soit aussi contente de le voir ; elle qui l’envoyait souvent sur les roses, Sasori s’en voyait bien étonné. A vrai dire, ça lui était bien égal, le tout était qu’il avait trouvé quelqu’un pour passer un bout de la nuit et comme ça faisait un moment qu’il ne l’avait pas vue, il appréciait que ce soit elle qui le lui propose.

« La prochaine fois je trouverais une façon plus originale de t’interpeller alors ! »

Le jeune homme lui proposa alors son bras avec un joli sourire. S’il allait être capable de lui rendre la soirée plus belle ? Bien sûr qu’il était celui qu’il lui fallait à ce moment là, et pour ce il lui renvoya le même sourire malicieux, sûr de lui et acceptant avec plaisir son défi.

« C’est vrai que je suis bien tombé, je connais justement un endroit qui te fera changer d’avis sur ta soirée ! »

En tant que squatteur des rues la nuit, il avait eu le temps de repérer tous les endroits sympas de la ville y compris ceux qui sortent du commun. Ce soir là il ne pensait pas y aller mais Lena l’avait vite inspiré et il allait l’emmener dans un night club cabaret situé dans une petite rue. Le genre de truc qu’on ne remarque pas et qui pourtant mériterait une place bien plus importante.

Ce n’était pas si loin, après quelques minutes de marche à pied a travers les carrefours et ruelles, ils arrivèrent devant une porte où résonnait déjà la douce voix d’une chanteuse habillée d’une robe rouge. Sasori avait poussé la porte et laissait sa compagne du soir entrer en premier. Dès le seuil passé on ne pouvait pas croire être encore à Tokyo ni en l’an 2011. Les employés et musiciens étaient habillés à la mode des années 50 d’Europe et le décor dans les tons rouges bois et or. La musique résonnant dans le cabaret était sur un lent rythme de batterie, quelques notes de piano et de basse. La chanteuse était américaine, les projecteurs braqués sur elle, son élégance éblouissait les spectateurs qui étaient pour la plupart des habitués. C’était un endroit qu’il aimait beaucoup, déjà pour quelqu’un qui est fasciné par la culture occidentale mais également pour ceux quoi voudraient être dépaysés, au calme et surtout pour les mélomanes. Car on y jouait de tout, du classique comme du jazz et les danseurs n’étaient que des passionnés.

Sasori avait déjà passé plusieurs soirées ici et était finalement devenu un des fournisseurs de vin. Reconnaissant le jeune homme, un des serveurs se présenta et les deux jeunes gens furent alors vite installés à une place spéciale avec une très bonne vue sur la scène. Sasori s’installa, un bras après avoir échangé quelques mots avec le serveur. La carte des boissons était riche en champagnes et vins d’Europe mais ils servaient également des cocktails et un vaste choix de boissons non alcoolisées. Il y avait également des repas gastronomiques mais dont les prix laissait tout de même les portefeuilles en vie.

« Prends ce que tu veux j’ai une remise. »

Pour sa part, même s’il était pour le moment absorbé par la chanteuse, Sasori allait certainement choisir un champagne afin de rester dans l’ambiance. Il l’avait emmenée ici parce qu’il n’y avait pas plus magique comme endroit pour se changer les idées et comme étant d’origine occidentale, ça ne pouvait que lui plaire. Si la soirée devait continuer, il l’emmènerait certainement dans un endroit plus animé mais ce serait selon ce qu’elle aurait envie.

« Un Mumm rosé s’il vous plait »

Pouvons-nous vraiment écouter cette musique, voir ce lieu et être quelqu’un de mauvais ? La chanteuse salua son public sous des applaudissements sincères, et Sasori s’invita à faire de même car il était un grand fan de sa voix. Les chansons qu’elle choisissait étaient parfaites pour son timbre et son style. Les bavardages firent ensuite bruit de fond un moment jusqu'à l’entrée d’autres artistes. Un jeune homme nippon fit son apparition accompagné d’une demoiselle avec un violoncelle tous deux habillés avec une élégance cette fois bien plus classique et plus sobre. Le jeune homme prit place derrière le piano et aida sa collègue à accorder son instrument.

Pendant ce temps là, Lena avait fait part de son choix au serveur, ce qui attira l’attention du jeune homme.

« La même chose. Je ne peux que te faire confiance dans ce domaine... »

Il sourit, acquiesçant d’un mouvement de la tête. Elle avait raison et puis il n’avait pas choisi n’importe quoi... Même si son côté curieux l’aurait habituellement poussé à choisir un truc dont le nom ne lui évoquait rien, il avait préféré un Mumm rosé car il en avait eu de très bons échos et vu le prix d’une bouteille il ne pouvait qu’avoir eu du succès auprès des gouteurs. Et sur ces choix, le serveur détourna les talons en direction du bar.
Pendant ce court temps, on entendait déjà les premières notes d’un duo sur une nuance de pianissimo. Une sonate douce et très certainement composée par Chopin qui déjà avait imposé le silence dans la salle. Il y a longtemps, Sasori avait prit des cours de piano. Il était arrivé à un très bon niveau mais les récitals avaient finit par le lasser. Il préférait être spectateur plutôt qu’interpréter même s’il lui arrivait encore de pianoter sur celui qu’il avait chez lui des petites valses.

La douce voix de la jeune femme l’arracha de ses pensées d’antan alors qu’elle lui faisait en quelque sorte un compliment. Ce à quoi il resta de marbre, car pour lui la réponse était évidente et il n’attendit d’ailleurs pas pour lui répondre.

« Quelqu’un comme toi est mieux dans un paysage comme celui là plutôt que dans un vieux bar d’ivrognes. »

Il l’imaginait d’ailleurs très bien derrière ce piano ; Elle avait les longs doigts des pianistes, peut être qu’elle en faisait ?

Le caviste lui lança un léger sourire charmeur quelques secondes après. Déjà elle avait voulu être impressionnée et ensuite il n’aurait jamais pu l’emmener dans un endroit aussi banal qu’une discothèque ou un club lambda. Mais il était bien content de son impression, au moins il ne donnait pas de son imagination pour rien et juste son regard était une récompense pour lui. Elle avait été si froide à certains moments avec lui par le passé que la voir éblouie affirmait la vision qu’il avait eu d’elle. Lena est bien plus sensible que ce qu’elle ne laisse transparaitre et il était fier de l’avoir touchée en l’emmenant entre ces murs.

« Pas le moins du monde ! Et toi ? Que faisais tu pour avoir passé un début de soirée ''épouvantable'' ? »

Ils furent interrompus lorsque le service revint avec la bouteille de champagne. La tradition voulait qu’après l’ouverture, l’homme de table soit servit un fond afin qu’il puisse gouter la boisson avant de servir les autres.

Alors, aussitôt servi, Sasori entama son protocole de gouteur avec sérieux. Après tout c’était son métier et pour être sûr de la qualité il avait tout intérêt à le faire même s’il n’en doutait pas. Ils avaient mis un verre bien adapté pour les bulles et les subtilités du champagne, la couleur tenait d’un ambré et d’un pourpre profond donnant un joli rose. Chaque détail est important, pour lui ce n’était pas un simple alcool pour se murger la gueule mais tout comme le vin, c’est bien plus noble que n’importe quoi. Le caviste amena le bord du verre à son nez et humait les doux arômes de fruits rouges, il était frais et jusque là il lui plaisait déjà car il lui rappelait un de ses vins préférés. Puis lorsqu’il en prit un peu, comme un bain de bouche il le fit tourner entre sa langue et son palais, pouvant déjà reconnaitre les cépages et leurs dosages. Un gout sucré dominait jusqu'à l’étape que l’on appelle « évolution » ou les agrumes de fruits sont clairement ressentis. Sasori inspira un peu d’air, ce qui est en fait une méthode pour une meilleure imprégnation des muqueuses et ainsi renforcer l’acidité et le corser. Ce processus ne durait que quelques secondes jusqu'à ce qu’il avale et reste attentif aux traces laissés par les arômes dans son palais. Celui-ci était persistant et puissant en fin de bouche mais n’en restait pas moins très appréciable. Il était convaincu.

Le nippon leva les yeux vers le serveur qui attendait son commentaire avant de pouvoir remplir leurs flûtes.

« Il est bon, allez y ! »

Le serveur lui lança un sourire et s’empressa alors de remplir leurs verres et ranger la bouteille dans un seau rempli de glaçons pour le conserver frais. Puis, les saluant poliment, il s’en alla au service d’autres clients. Ils étaient à présents seuls et Sasori retourna son attention sur la demoiselle assise en face de lui. Il attendait maintenant qu’elle lui raconte le début de cette soirée, attentif.

Sasori regardait Lena, alors qu’elle lui racontait ses mésaventures du soir. Un groupe d’étudiants un peu faits c’était en effet quelque chose qui pouvait s’avérer parasite. Ils sont si jeunes et jamais bien polis, ils pensent souvent que sous prétexte qu’ils sont nourris logés et blanchis ils peuvent tout se permettre et surtout venir embêter les occidentales. La nuit ils sont plus particulièrement chiants à cause de l’alcool, comme la plupart d’ailleurs qui ne savent pas encore gérer la boisson si maman vient les chercher à la sortie de la boite. En parlant de cela, combien de fois ce genre de personnes sont entrées dans sa cave pour demander si l’alcool était moins cher ici que dans la grande surface d’à côté ? Combien de fois ce genre de question l’aurait presque donné envie de sortir une carabine ? Bref rien que d’y penser il avait déjà des envies de meurtre et s’il avait été avec elle à ce moment là il aurait certainement réagi de manière agressive.

Ceci dit, un truc lui trottait dans la tête. En parlant d’accoster, n’était ce pas trois numéros glissés dans l’arrière de sa poche qui était le résultat d’un accostage ? Un rire maladroit passa ses lèvres alors qu’il se souvenait soudainement de ce groupe de filles d’il y a quelques minutes plus tôt. Sasori mima une toux pour que son rire nerveux passe outre aux yeux de Lena tout en tapotant son buste comme s’il avait avalé quelque chose de travers. Ca passait mieux ainsi, il n’avait vraiment pas envie de le lui raconter, fronçant les sourcils il attendait de se calmer. Puis il reprit, bien embêté que ces petits cons lui aient presque foutu sa soirée en l’air pour un coup de drague. Voyons le côté positif : dans d’autres circonstances elle n’aurait peut être pas accepté d’être avec lui et ils ne seraient pas là en train de déguster un bon champagne.

« Eh ben ! Ils ne doivent pas avoir beaucoup d’amour propre pour insister comme ça !! Ou bien un gros manque affectif... » Fit il en croisant les bras. « Mais...tu les as bien humiliés, c’est toi qui a gagné, pas eux donc ça ne devrait pas te toucher ! » Ajouta t-il sur une pointe d’humour.

Il était pour le moins certain que le nippon ne ferait pas le fier de se prendre un râteau comme ça.

Et même si ça le dérangeait de s’être un instant comparé à ces gars, il n’avait pas insisté avec ce groupe de filles, ce qui était une grosse différence. Personne n’aime être traité comme tout le monde et d’ailleurs son bon parler était le fruit de son éducation et de ses études dans le commerce où il a appris à adopter un comportement différent suivant l’interlocuteur. De la manipulation ? Peut être un peu mais ça ne l’empêchait pas de rester quelqu’un d’honnête et c’était tout ce que eux n’avaient pas, la preuve. La seule personne avec qui il s’était surpris à insister c’était Lena, or ce n’était pas de la même manière et c’était surement pour ça qu’elle ne l’avait pas envoyé paitre définitivement comme ces étudiants.

Contrairement à eux, ce n’était pas comme s’il considérait avoir gagné en égayant la soirée de la demoiselle, Dieu sait que cette femme est têtue et le jour où il pourra considérer qu’elle est sous le charme est loin d’être arrivé. Et peut être aura-t-il fini par abandonner.
Rien que d’y penser il se trouvait un peu minable en fin de compte car ça ne lui ressemblait pas de courir après les gens... Mais peu lui importait, car tout ce qui comptait c’était cette soirée bien agréable en sa compagnie. Jusque là, ça ne l’avait pas dérangé de s’écraser un peu juste par curiosité de savoir qui est Lena Iversen au fond.

Après avoir trinqué avec elle, il reposa délicatement son verre sur la table et se laissa aller sur le dossier de la chaise. Un vif regard sur la scène, les notes de musique pleines d’émotions le transperçaient une à une. Le caviste voyait bien que le spectacle ne laissait pas la norvégienne de marbre et même bien plus, on avait clairement pu observer l’attention qu’elle avait porté dès les premières notes jouées.

« Tu as l’air d’être une connaisseuse ! »

Il se remit droit sur sa chaise et lui fit un geste de la main en direction de la scène.

« Il est facile de reconnaitre le regard d’un amateur et celui d’un musicien lorsqu’il observe quelqu’un jouer. Et si je ne m’emporte pas dans mon délire je dirais que tu as un étroit lien avec la musique.»

Tout comme un connaisseur de vin ferait tourner le vin dans le verre avant de le boire ; un amateur ne le ferait pas même s’il connaît la technique. Ca paraissait dingue mais on peut toujours apprendre des tas de choses sur les gens simplement en les observant. Dans le cas de Lena, elle ne regardait certainement pas les instruments mais plutôt les mains et la technique des musiciens ; Son oreille certainement plus sensible aux détails comme si la portée jouée apparaissait au fur et à mesure dans sa tête.

Son petit toussotement nerveux n'était pas passé inaperçu et comment aurait il pu l'oublier ? Lena est une femme si observatrice, rien ne lui échappe de son comportement et parfois c'est ce qui le rend maladroit. D'ailleurs là, elle l'avait sèchement remis à sa place. Oh il avait l'habitude et ce qu'elle disait avait fini par le faire sourire. Un sourire entre l'amusement et qui se voulait très amical. Qui ne préférait pas Sasori plus sûr de lui ? Il ne montait pas sur ses grands chevaux mais elle avait raison, ça ne lui ressemblait pas mais elle l'intimidait tout le temps et parfois il ne se reconnaissait pas lui même.

Il préférait laisser ce détail de côté pour alimenter leur nouveau sujet de conversation sur la musique.

« Je suis pianiste et compositrice. J'ai été admise cette année à l'Université des Arts de Tokyo. Alors oui, on peut dire que j'ai un « lien étroit avec la musique. C'est la raison de ma venue au Japon. J'ai intégré un programme d'échange entre plusieurs grandes université d'arts à travers le monde. »

Ainsi donc il avait eu raison. Il l'imagina un instant derrière un piano, jouant de ses mains pour envoûter les oreilles des spectateur. Ça lui allait bien, il était content d'en savoir un peu plus sur elle et admirait toujours les gens qui s'investissait à fond dans un domaine aussi difficile que l'art dans toutes ses formes. Un nouveau sourire s'esquissa sur son visage alors qu'il reprit son verre de champagne en main pour en boire encore. La scène se préparait à nouveau après avoir applaudi ce fabuleux duo de classique, on revenait à un registre plus burlesque avec un orchestre de blues. Le genre de musique qu'il aimait bien pour l'ambiance de cabaret qu'elle donnait.

Le caviste se redressa sur sa chaise, posant son verre à pied sur la table et leva les yeux vers Lena. Il avait soudainement envie de bouger, l'alcool y étant certainement pour quelque chose. Bref, il avait tout de même les idées claires et sans prévenir, il prit la main de la demoiselle pour l'emmener devant la scène.

« je ne sais pas si toi, mais moi j'ai envie de bouger un peu ! »Fit-il avec un sourire complice

Il y avait un espace pour les soirées dansantes ; les tables formaient un arc de cercle autour de la scène. Sasori était bon danseur mais surtout pour les danses en couples, tout seul il trouvait cela sans intérêt. Quelques années auparavant il avait eu une relation amoureuse avec une danseuse qui lui en avait appris plusieurs pas pour danser avec lui. Lorsqu'ils sortaient, elle l'avait entraîné dans ce genre de soirées où l'on y danse du tango comme de la valse. Ça ne lui avait pas déplu, malgré ses a priori. Il n'y avait rien de plus sensuel et d'amusant plutôt que rester le cul sur une chaise a se regarder dans le blanc des yeux.

Une fois sur la piste, Sasori ne lui demanda toujours pas si oui ou non, et glissa l'une de ses mains dans le dos de la jeune fille afin de l’entraîner contre lui.

« Une petite danse ?»

Ce n'est pas partout à Tokyo que l'on peut danser ainsi sans se faire vomir dessus comme dans les boites de nuit, autant en profiter. Mais il n'attendit même pas sa réponse qu'il la guidait déjà, la musique l’entraînant. Si elle n'aimait pas cela, il allait lui faire apprécier. Si c'était déjà le cas, ça allait être encore mieux.

Après quelques pas et tours enchaînés, d'autres personnes les rejoignirent sur la piste, motivant l'orchestre à jouer plus fort alors que les gens assis les accompagnaient en tapant dans leurs mains. Ils accompagnaient le rythme et c'était avec une grande attention qu'ils observaient les danseurs improvisés. C'est le genre de chose dont il faut s'attendre avec un homme fasciné par les vieilles époques de l'occident. Souvent, il pense qu'il n'est pas né à la bonne époque ni au bon endroit et ce soir là il se voyait bien dans les années 50 aux Etats-Unis. D'ici ils pouvaient voir la salle entière, les décors plus illuminés par ici, on se sentait sans nul doute ailleurs et il pouvait être le genre d'homme qu'il aurait aimé être ; faire danser les filles et écouter de la bonne vieille musique dans un lieu pittoresque durant ces années après guerre où le bonheur avait enfin sa place.

Le nippon détourna ses yeux rêveurs des détails des décors pour laisser son attention sur sa partenaire. Elle qui avait par un merveilleux hasard croisé sa route pour inspirer sa soirée et finalement se retrouver à danser ensemble. Serein et tout à son aise, profitant du moment présent, Sasori faisait tourner la jolie demoiselle sur elle même. Il la reprenait dans ses bras et le sourire aux lèvres continuait de se laisser guider par la musique.

Quand on voit Sasori, on imagine pas ce genre de choses de sa part, et pourtant, pour lui, rien n'est à laisser tant que l'on prend du bon temps. Et à ce moment là, il faisait en sorte que Lena puisse oublier son début de soirée, pour lui rendre ce joli sourire qu'elle lui faisait parfois. Qui sait peut être qu'en découvrant cette facette de lui, elle cessera d'être distante et pourra le considérer comme un ami proche ?

Lena ne manqua pas de le remercier à nouveau, chose qu’il appréciait doublement et qu’il lui rendit avec un grand sourire tandis que les pas de danse étaient de plus en plus lents sur le morceau touchant à sa fin.

Oh oui, il se félicitait aussi lui-même pour avoir su trouver de quoi changer les idées de la demoiselle. Il fallait dire qu’il avait été bien inspiré sur ce coup là et qui sait si elle accepterait de le revoir dans des circonstances moins hasardeuses, peut être découvrirait elle un autre lieu pittoresque et caché dans les rues. Ou peut être viendrait elle le rendre visite dans sa cave pour découvrir qu’il n’y a pas plus sérieux que lui rien de voir combien il s’acharne sur son boulot… Il était certain que Sasori apprécierait beaucoup une telle proposition mais ne mettait pas non plus la charrue avant les bœufs. Pour le moment, la danse prit fin, sous les acclamations des spectateurs et des musiciens saluant leur public et les quelques couples qui avaient mis un peu d’ambiance.

Le jeune homme lâcha doucement sa cavalière alors qu’elle profita de ce dernier face à face pour demander ses intentions à son propos. Ca ne l’étonnait pas, il se demandait même quand est ce qu’elle allait finir par lui sortir carte sur table. Elle demandait de la franchise, il allait lui en donner.

«   Ca devait certainement être mon côté têtu qui m’a poussé à insister et voir tes limites au début. » Commença t-il avec un petit sourire taquin.

Comme tout mâle dominant qui se respecte, plus on lui résiste, plus il veut posséder. C’est la règle. Lena est une très bonne adversaire à ce jeu là et ce qui dès le départ lui avait plu chez elle. Cependant, au fil des infimes moments qu’il passait avec elle, il avait eu envie de s’arrêter un peu pour l’écouter tout simplement. Le petit jeu qu’il avait mis entre eux ne l’avait pas lassé de si tôt mais il avait juste envie de connaitre une nouvelle facette de Lena, elle qui paraissait si secrète. Il avait passé de longues heures à lui faire du charme dans un but purement égoïste et parce qu’il la trouvait tout simplement très jolie et très à son gout. Quand à elle, elle avait répondu comme bon lui semblait et c’était tout...

Rien, voilà justement pourquoi il était persuadé que l’avoir sous son charme ne lui suffirait certainement pas et qu’il garderait en lui une frustration. A plusieurs reprises il avait eu envie de la lâcher, se dire qu’elle n’en valait pas la peine et qu’il se faisait un film. Sa conscience peut être le sermonnait de se jouer d’une femme aussi respectable qu’elle ? Le caviste s’était surtout vite rendu compte que ce n’était pas vraiment ce qu’il voulait que ça ne pouvait pas que se passer que comme cela. Lena a quelque chose de spécial et il était certain qu’il allait passer à côté d’une formidable personne s’il n’essayait pas un minimum de découvrir sa personnalité, ses gouts, ce qu’elle aime, ce qu’elle hait.

Un autre sourire amical étira les traits du visage du jeune homme alors qu’il continua sur la même voie de l’honnêteté.

«  Et puis… tu es restée dans mon esprit comme quelqu’un d’important. Beaucoup de personnes entrent dans ma vie aussi vite qu’elles en ressortent et parfois il y en a certaines pour qui je suis certain que ce serait un énorme gâchis de les laisser. Il n’y a rien de moins compliqué… »

Il n’y avait qu’à voir le déroulement de cette soirée. Ils pourraient très bien s’entendre tous les deux si elle baissait un peu sa garde et découvrir par elle-même le genre de lien qu’ils pourraient avoir. Ceci étant dit, il l’invita à revenir là où était leur place pour récupérer leurs affaires et quitter ce lieu pour un nouvel air. Il était de toute façon temps de céder leur place aux nouveaux arrivants. Il lui donna d’ailleurs la carte de visite du lieu, pour qu’elle puisse connaitre l’adresse si jamais elle voulait y retourner un jour.

«  Je suis content que ça t’ai plu ! La prochaine fois ce sera à toi de m’impressionner par contre !! » Ajouta t-il d’un clin d’œil.

La soirée arrivait à sa fin, il aida son invitée à remettre sa veste et lui ouvrit la porte de la sortie après avoir remercié les employés qu’il croisait. Le froid de l’extérieur le fit frissonner de manière désagréable et il ferma vite sa veste. Quand à Lena, il ne tarda pas à lui faire un autre sourire.

«  Tu veux rentrer ? Ou un dernier chocolat chaud pour la route ? »